Bernhard SCHLINK
BIOGRAPHIE :
Juriste et romancier, ce bon vivant très occupé a actuellement trois livres en chantier. On attend beaucoup de cet auteur allemand.
Le voilà parti d'Allemagne. Il profite de New York, enseigne quelques mois à la faculté de droit de l'université Yeshiva et aspire à «une vie faite comme elle devrait l'être». Dans la réalité, sa vie est de celles qui permettent à un homme aux talents multiples de les exercer, de suivre ses envies sans renoncer à rien. Bernhard Schlink, trois polars et un merveilleux roman Le liseur (Gallimard, 1996) à son actif, professeur de droit à l'université Humboldt de Berlin, juge à la cour constitutionnelle du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, auteur d'un manuel sur les droits fondamentaux du citoyen, père de famille, amant, cycliste, amateur de vins, ne veut pas avoir à choisir. Il est pour l'érudition et la clarté de la pensée, mais aussi pour les thrillers complexes et les histoires d'amour compliquées.
Ce professeur trouve rarement le temps d'écrire en Allemagne, des semblants de pause comme celle aux Etats-Unis sont nécessaires pour coucher ses histoires sur le papier.
A 53 ans, Le liseur a propulsé d'un coup Bernhard Schlink sur le devant de la scène, et il est probable qu'il ait inscrit dans son roman une part importante de la matière de sa vie personnelle.
Les parallèles autobiographiques du livre sautent aux yeux, mais Schlink rougit comme un petit garçon en refusant de répondre à la question: a-t-il un jour été lui-même ce «liseur»? Ses personnages sont le fruit d'un mélange «de distance et de vraisemblance», répond-il vaguement, se référant à Gerhard Selb (selbst, «soi-même»), l'un de ses deux héros policiers qui, à travers la joie de vivre, le plaisir de la solitude, l'obsession de l'équité et de la précision, lui ressemble incroyablement, avec cependant vingt ans de plus et un peu de sagesse en moins.
Qui lit les livres de Schlink tombe presque nécessairement sous la coupe de ses personnages: des hommes silencieux, intellectuels, tendres, qui choisissent la solitude et qui pourtant, régulièrement, par crise presque, recherchent la chaleur humaine. Les critiques ont parlé du «Marlowe allemand», quoique les personnages de Schlink soient irrémédiablement allemands et pas du tout à la Marlowe: il leur manque l'ironie, le laconisme, ils sont marqués au contraire par un sens pressant du devoir, un penchant pour la philosophie et une conscience de l'Histoire très développée.
Bernhard Schlink a beaucoup vécu, vu beaucoup de choses, et utilisé cette richesse dans ses livres. Le jeune homme qu'il était avait voulu étudier l'histoire et la sociologie, mais son père, professeur de théologie, s'était opposé à des matières peu enclines à nourrir leur homme. Le fils se décida donc à faire son droit, un choix qu'il trouve aujourd'hui très judicieux: «Quand on aime manier la langue, quand on sait que tout est possible ainsi que son contraire, quand on unit une volonté positive au doute, quand on a de l'imagination et qu'on peut avoir une pensée mathématique, on trouve du plaisir dans le droit», dit-il, presque euphorique.
BIBLIOGRAPHIE :
Amours en fuite - Nouvelles - Editions Gallimard 2001 (2000 pour l'édtion originale)
Le Liseur aux éditions Gallimard
Bouillard sur Mannheim avec Walter Popp ("Série noire" n0 2479 repris en "Folio p olicier" n) 135
Un Hiver à Mannheim ("Série noire" n° 2582
Fiche :
Auteur Bernhard Schlink
Traduction Bernard Lortholary
Editeur Gallimard 2001
Nombre de pages 320 pages
Résumé :
Comment les amours naissent et finissent, quels détours elles empruntent pour s'abuser et se désabuser, se tromper et se détromper, voilà ce qu'éprouvent les sept protagonistes masculins de ces récits, souvent face à des femmes plus lucides et plus courageuses.
Ces sept histoires sont de véritables romans, dont chacun met en jeu une vie entière. - Présentation de l'éditeur -
Extrait :
"Le père n’était pas rentré déjeuner à la maison, la mère était partie en ville tout de suite après. Donc, le garçon ne demanda la permission à personne, il s’assit dans le bureau paternel, regarda et écrivit. « Sur le tableau on peut voir la mer, devant la mer la plage, devant la plage un rocher ou une dune, et dessus une petite fille et un lézard. » Non, le professeur avait dit qu’une description de tableau allait du premier plan à l’arrière-plan en passant par le plan moyen. « Au premier plan du tableau, il y a une petite fille et un lézard sur un rocher ou sur une dune, dans le plan moyen il y a une plage, et depuis le plan moyen jusqu’à l’arrière-plan il y a la mer. » Il y a la mer ? La mer roule ses flots ? Mais la mer ne roule pas ses flots du plan moyen à l’arrière-plan, mais de l’arrière-plan au plan moyen. En outre, plan moyen sonne mal, et premier plan et arrière-plan ne valent guère mieux. Et la petite fille, est-ce qu’elle est ? Est-ce tout ce qu’il y a à dire sur la petite fille ?
Le garçon recommença à zéro. «Sur le tableau, il y a une petite fille. Elle voit un lézard. » Même ainsi, ce n’était pas encore tout ce qu’il y avait à dire sur la petite fille. Le garçon poursuivit. « La petite fille a un visage pâle et des bras blancs, des cheveux bruns, elle porte sur le haut du corps quelque chose de clair et sur le bas une jupe foncée. » Mais même ainsi, il n’était pas satisfait. Il se remit au travail. « Sur le tableau, une petite fille regarde un lézard qui prend le soleil. » Est-ce bien vrai ? La petite fille regarde-t-elle le lézard, ou bien ne regarde-t-elle pas plutôt au-delà du lézard, à travers le lézard ? Le garçon hésita. Mais ensuite cela lui fut égal. Car la première phrase fut aussitôt suivie de la deuxième : « La petite fille est merveilleusement belle. » La phrase était juste, et du coup la description commençait elle aussi à être juste.
« Sur le tableau, une petite fille regarde un lézard qui prend le soleil. La petite fille est merveilleusement belle. Elle a un visage délicat avec un front lisse, un nez droit et une fossette sur la lèvre supérieure. Elle a les yeux marron et des boucles brunes. En fait, le tableau n’est que la tête de la petite fille. Tout le reste est sans importance par rapport à elle. Comme par exemple le lézard, le rocher ou la dune, la plage et la mer. »
Le garçon était content. Maintenant, il n’avait plus qu’à caser tout cela dans le premier plan, le plan moyen et l’arrière–plan. Il était fier de sa formule « comme par exemple. » Cela faisait élégant et adulte. Il était fier de la beauté de la petite fille.
Quand il entendit son père ouvrir la porte de l’appartement, il resta assis. Il l’entendit déposer sa serviette, enlever et suspendre son manteau, jeter un coup d’œil dans la cuisine et au salon, puis frapper à la porte de sa chambre.
« Je suis ici », cria-t-il, et il posa ses feuilles de brouillon bien soigneusement sur son cahier, et son stylo à côté. C’est ainsi qu’étaient posés sur le bureau de son père les dossiers, les feuilles et les crayons.
« Je suis ici parce que nous avons une description de tableau à faire, et je décris le tableau qui est ici. » La porte s’ouvrait à peine qu’il parlait déjà.
Il fallut un moment au père pour réagir. « Quel tableau ? Qu’est-ce que tu fais ? »
Le garçon expliqua de nouveau. A la manière dont son père restait planté là, regardait le tableau puis le regardait lui et fronçait les sourcils, il remarqua qu’il avait fait quelque chose qu’il ne fallait pas. « Comme tu n’étais pas là, j’ai pensé »
- Tu as… » Le père parlait d’une voix contractée, et le garçon pensa que cette voix allait tout de suite basculer dans un autre registre et se mettre à crier, et il fit mine de se cacher. Mais le père ne cria pas. Il hocha la tête et s’assit sur la chaise tournante entre son bureau et la table qui lui servait à déposer ses dossiers, et de l’autre côté de laquelle le garçon était assis. Derrière le père, au-dessus du bureau, il y avait le tableau. « Veux-tu bien me lire ce que tu as écrit ? »
Le garçon lut, rempli à la fois de fierté et de peur.
« Tu as écrit cela très bien, mon garçon, j’ai vu très exactement le tableau devant moi. Mais…- il hésita, ce n’est pas une chose pour les autres. Pour les autres, il faut que tu décrives un autre tableau. »" (La petite fille au lézard - Pages 17à 19)
samontha